Auteur : Danielle Chevalier

25- Biennale de Venise 2015. Général

« La Biennale de Venise 2015 qui a débuté le  9 mai fermera ses portes le 22 novembre. Elle est  , me semble-t-il,  la plus importante de toutes en lieux d’expositions et artistes présentés.  Une semaine ne peut y suffire. Elle est aussi celle qui m’a procuré le plus d’émotions et de satisfactions.

De façon générale, si,  pour cette 56° Biennale,  dominent comme toujours  les sujets liés aux désordres mondiaux et aux atrocités infligées par certains groupes humains à d’autres, on  trouve un recul et une distance qui  écartent de la chronique journalistique au profit de réelles créations plastiques, souvent très complexes . Je pense aux très intéressants pavillons de la Belgique aux Giardini et de l’Afrique du Sud au 1° étage de l’Artillerie de l’Arsenal.

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 Vincent Meessen pour la direction générale du pavillon Belge : « Personne et les autres »

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Mohan Modisakeng : « Inzilo ». Vidéo muette. 4′

Trois techniques que l’on ne voyait plus guère sont de nouveau très présentes : la peinture (1) ,  le dessin – et même le très beau dessin -(2)  , et différentes formes de cabinets de curiosités ou de présentation de collections (3) . Ci-dessous les exemples les plus frappants.

1- Peter Doig au palazzetto Tito, Georg Baselitz à l’Arsenal,
Adrian Ghenie : « Darwin’s room » au pavillon roumain

2 – Olga Chernysheva- Espace 4 de la Corderie de l’Arsenal

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3 – Fiona Hall  au pavillon australien et Ricardo Brey à l’espace 6 de la Corderie de l’Arsenal.

Egalement beaucoup d’oeuvres où la recherche décomplexée de la beauté est évidente , indépendamment des  problèmes abordés , et dans certains cas une beauté très spectaculaire :

 au pavillon Japonais  l’installation de Chiharu Shiota  

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Dans les pages suivantes … 5 coups de coeur majeurs, mais beaucoup d’autres mériteraient à mes  yeux d’être cités.
Blog 27 :  Herman de Vries : Pavillon Hollandais. Giardini
Blog 28 : Magdalena Abakanowicz . Ile de San Giogio Maggiore
Blog 29 : Rosana Palazyan : Pavillon de l’Arménie. Ile de San Lazzaro degli Eremitani
Blog 30 : Cy Twombly : Ca Pesaro
Blog 31: Nancy Spero : Punta de la Dogana

24 – Vivian Maier

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Vivian Maier, nurse anonyme de son vivant, phénomène médiatique morte.
Entre les deux une découverte : 100 000 négatifs, 700 rouleaux de pellicule couleur, 2 000 rouleaux de pellicule noir et blanc, quantité de films en 8 mm et 16 mm, le tout non développé.
Un film : « A la recherche de Vivian Maier » passe en ce moment sur les écrans, essentiellement dans les salles d’art et d’essais. Un thriller passionnant, émouvant, et perturbant, car le dénouement n’advient pas. Vivian Maier reste une énigme.

Enigme pour ceux qui l’ont côtoyée… sûrement. Ils le disent en tout cas. Plus les témoignages et souvenirs s’enchaînent sur cette femme solitaire et discrète,  plus VM s’échappe et se dérobe.
Enigme pour elle – même encore plus sûrement. En témoigne la quantité impressionnante d’auto-portraits et cette obsession à scruter sa propre image, à interroger son visage en le démultipliant à l’infini dans des jeux de miroirs et de mises en abîme.
Un vague malaise envahit le spectateur, une sorte de mauvaise conscience, éprouvée bien souvent face à la misère affective, à l’extrême solitude et à la dignité qui va avec.

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Les images aujourd’hui révélées font de VM une des plus grandes photographes de « Scènes de la rue » et le désir de chercher qui était la femme s’en trouve exacerbé. Nurse, célibataire, sans famille, sans amis, sans domicile  personnel…
Parmi les autoportraits, certains se réduisent à des ombres portées. Et c’est ici me semble t-il que  s’éclaire un peu de sa personne, par rapprochements de bribes. Ici en effet plus de présence effective.  Au contraire une disparition dans un hors-champ magique et protecteur. Juste une ombre calculée, maîtrisée,  tantôt  envahissant  l’espace, tantôt venant d’un angle inattendu, la tête toujours arrêtée à un  endroit stratégique. Un grand manteau, un chapeau… le justicier ? l’ange du bien ? du mal ? Sorte de toute puissance primitive.  Apparition christique.

– seule dans l’espace du paysage, elle l’envahit, utilise les fuyantes du décor pour se positionner et obliger le regard à glisser toujours vers une zone lumineuse au loin.
Dans un paysage urbain, elle domine la ville , veilleur immobile, ou se superpose à l’ange dans l’affiche d’un film à la mode « Le Ciel peut attendre » ( photo d’origine en couleurs) . Les allusions au cinéma des années 50 sont fréquentes. VM est cultivée et a de l’humour.

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– Quand elle se confronte à un humain, il est désarmé, nu, ridicule : femme bronzant en maillot et bigoudis, maçon penché, fessier boueux exposé,  autre femme relaçant sa chaussure, postérieur là aussi en l’air, bas en tire bouchon .

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C’est dans la relation aux éléments naturels ou aux objets que VM se  livre davantage parce qu’il y a appropriation ou mieux incorporation de l’élément élu.  Elle installe un petit rameau avec feuilles comme  épinglé sur sa poitrine, des feuilles mortes  contre son coeur ou une limule rencontrée sur la grève , bête étrange fréquente dans son pays,   qui vient du fond des âges, contient un sang bleu aux propriétés thérapeutiques exceptionnelles, capables de « sauver l’humanité ».

VM ayant réalisé fort peu de photos animales il est probable qu’elle sait tout cela.

 

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L’ intention est plus troublante et évidemment plus calculée,  quand elle descend de sa poitirine à son ventre pour y loger un contenant cylindrique vide,  muni dans sa partie haute d’ un chapeau convexe  réfléchissant . Ainsi, attiré par cet ensemble clair cerné de blanc, l’oeil bute sur le petit  personnage, reflet d’elle-même… Comment ne pas y voir une idée de gestation, peut-être d’enfantement… mais de qui ou de quoi ? …

23 – Roni Horn et les glaciers d’Islande .

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Lagune glaciaire du Jokulsarlon. Icebergs du glacier Breidamerkurjökull ( photo DC 2014)

« Le temps qu’il fait » est une métaphore du monde, qu’il s’agisse de l’atmosphère ou de la vie d’un individu.
Le temps qu’il fait est une métaphore de l’énergie physique, métaphysique, politique, sociale et morale d’une personne ou d’un lieu ». Roni Horn

Glacier Skalafellsjökull ( photo DC  2014)


« Vatnasafn » Roni Horn

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Au Nord Ouest de l’Islande, sur un promontoire dominant le petit port de Stykkishólmur, une bibliothèque désaffectée, très lumineuse et largement ouverte sur la mer, accueille depuis 2007 l’oeuvre de la plasticienne américaine Roni Horn : « Vatnasafn/ La Bibliothèque de l’eau« 


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L’installation se compose de 24 colonnes de verre. Chacune est remplie d’une eau recueillie par carottage dans l’un des 24  plus importants glaciers d’Islande. Un rayon lumineux traverse verticalement chaque colonne de haut en bas jusqu’à la cupule arrondie qui la relie au sol et peu à peu récupère les particules d’éléments constitutifs de chaque glacier. Le revêtement du sol en gomme orangée est parsemé de mots en anglais et en islandais couramment utilisés en météorologie.

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La rotondité des colonnes, leur agencement les unes par rapport aux autres et les différentes sources lumineuses  reflètent  et réfractent formes et couleurs au plus léger déplacement, créant une atmosphère à la fois mystérieuse, mouvante et très paisible.
Le réchauffement de la planète entraîne, de façon particulièrement sensible en Islande, des changements irréversibles. Dans « Vatnasafn » quand un glacier disparait la lumière qui traversait la colonne correspondante s’éteint. Deux lumières sont aujourd’hui éteintes. Les deux glaciers présentés en début de page sont présents dans l’oeuvre de Roni Horn. Ils reculent nettement depuis ces dernières années.
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L’eau, les mots sur le sol, les bulletins météorologiques présentés dans l’annexe du musée reflètent la relation intime de Roni Horn avec la géographie singulière, la géologie, le climat et la culture de l’Islande … Cependant « Vatnasafn », de même que les autres créations de l’artiste, est bien moins un hommage à la beauté des paysages d’Islande qu’une réflexion poétique sur le travail du temps et les modifications constantes de notre monde. 

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22 -Javier Perez – In Situ –

Pour l’artiste plasticien, présenter son travail est toujours un moment douloureux. Nécessité et plaisir de le montrer certes, mais pas n’importe comment, ni n’importe où. Pour l’artiste, l’adéquation de son oeuvre avec l’espace qui va la recevoir est rarement satisfaisante.

Les lieux communément associés à l’art, galeries ou musées et centres d’art,  sans doute parce qu’ils sont avant tout dédiés à la vente dans le premier cas, à la culture et à l’éducation dans le deuxième, ne  sont que très rarement les meilleurs lieux de délectation. Dans la majorité des accrochages, chaque tableau, élément d’un sous-ensemble classé et daté, au sein d’un ensemble plus vaste, est forcément contaminé par ce  qui le précède ou le suit. Appariements et comparaisons s’imposent d’emblée. L’oeuvre en tant qu’organisme unique ,  y meurt.  L’essentiel : l’émotion, est un plus qui advient rarement.

C’est presque toujours par surprise, dans des lieux a priori sans lien avec l’art contemporain, que l’on découvre la création qui va nous retenir, nous émouvoir, nous bouleverser. Parce que le lieu et l’oeuvre  renvoient à un même champ, sont porteurs de sens et de charges émotionnelles proches.  La « pièce rapportée » vient donc  s’ inscrire tout naturellement dans un écrin qui lui (re)donne vie. C’est le cas  du Musée de la Chasse et de la Nature (cf blog 22 ), c’est le cas de l’abbaye de Gellone à Saint- Guilhem le Désert.

L’artiste espagnol Javier Perez y présente du 30 mai au 21 septembre 2014  trois oeuvres choisies pour ce lieu et en telle symbiose  avec lui que leur force s’en trouve considérablement élargie.

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 Le voyage nocturne, 2013.
Albâtre. 68 x 64 x 15 cm
Un oreiller, la trace de deux pieds, c’est évidemment le rêve et ses voyages intérieurs… Mais au coeur de la chapelle latérale de Notre Dame s’ajoutent tout naturellement les notions d’envol, d’assomption, de disparition, de renaissance …

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Rosaire (Memento Mori), 2008 – 2009
59 têtes de morts en résine de polyester teintée en noir. Chaîne en fer.
Ce chapelet de têtes de mort, reliées entre elles par des chaînes, et terminé par des plaques là où on attendrait une croix, nous dirait peu de choses sur le sol d’une galerie. Bien sûr le titre et les têtes de mort nous renverraient aux vanités, à la pensée de la mort inéluctable, aux comptages répétitifs des prières… Dans une crypte austère, fermée par des grilles de fer, l’enfermement et le cachot deviennent perceptibles: les chaînes  jusque-là liens peu signifiants se chargent, les plaques deviennent des entraves ouvertes. Ainsi que tout ce qui est lié à la prison: comptage des jours, douleur, évasion, délivrance .
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Corona
, 2011
Verre de Murano, tissu, fer forgé .
Sans doute « Corona » est-elle lisible en tous lieux. La couronne d’épines rougie par le coussin qui la porte renvoie à la Passion où qu’elle soit exposée.
Mais ici, dans ce lieu de pèlerinages,  la couronne d’épines présentée sur son coussin luxueux très codifié devient relique sacrée et pôle de dévotions, parce qu’en d’autres points de l’édifice se trouvent déjà la relique  de Saint Guilhem et surtout celle d’un morceau de la Vraie Croix.
L’oeuvre de Javier Perez  est très intéressante. Elle creuse les notions de corps… individuel, social, biologique, rêvé… le plus souvent par le biais d’éléments et leurres d’objets symboliques. Matériaux chaque fois spécifiques, en accord avec le sujet,  couleurs fortes, peu nombreuses, choisies pour leur puissance évocatrice . La violence, la souffrance, la mort sont au coeur de son oeuvre austère, baroque et d’une grande beauté plastique .
Lien vers trois époques de l’artiste :

8 – Giuseppe Penone

La Whitechapel Gallery de Londres présente « Espace de Lumière« , une oeuvre magnifique de Giuseppe Penone.

D’abord un vide vertigineux de lumière dorée comme une  corne d’abondance sans fin…
… et qui obstrue l’entrée de la pièce.

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Passé cet obstacle étonnant,   un arbre  tronçonné, couché à l’horizontale, reposant à un mètre du sol sur  ses branches coupées , et dont  la taille impressionnante obstrue à son tour la pièce en la coupant en deux…
… Alors seulement on réalise que le vide fascinant est celui de l’arbre, totalement évidé, et dont il ne resterait que l’écorce.
Celle-ci, de bronze bruni, donne à l’arbre une apparence tout à fait réelle, bien que son relief ne permette  pas d’ en  identifier l’essence…
… de près cette écorce n’en est pas une. C’est très  exactement la trace que les mains humaines donnent à la  gangue d’argile lorsqu’on entoure un volume pour en faire un moulage.
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Ce n’est donc pas un  arbre que l’on a sous les yeux… … mais la matérialisation de son absence .
Seule la feuille d’or, chargée en creux de l’ écorce ancienne, en porte le précieux témoignage. Rendre sensible une absence pour faire naître une pensée…

Date d’origine de cet article : 30 octobre 2012

 

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