Catégorie : BIENNALE VENISE

57b – VENISE. Biennale 2022.

Matériaux,  Techniques, Procédés d’utilisation

Je voudrais aborder pour cette biennale 22, la diversité et l’importance  de « matériaux » inhabituels choisis par certains artistes. Ou de mediums connus mais exploités  de façon particulièrement remarquable. Souvent étranges,  parfois symboliques, ils amènent à des procédures d’utilisation intéressantes à analyser parce que chaque fois au service du sens, bien sûr, mais surtout de la force plastique… donc émotionnelle de  l’œuvre.
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                                                              ANTONI CLAVÉ. Palais Franchetti.

Antoni Clavé, espagnol catalan, d’abord  peintre en bâtiment, puis affichiste, a  quitté son pays a la Retirada avec les troupes républicaines. C’est en France qu’il créera la plus grande partie de son œuvre. A Paris d’abord où il rencontrera entre autre Picasso , puis dans le midi.
Virtuose des techniques de mixages ( affiches, papier peints, cartons, stencils, procédés variés de collages, photographies et photomontages…),  il fascine le spectateur et le retient par un questionnement obsédant qui ne trouve pas de réponse :  » mais comment a-t-il fait ?  »  Car la violence des déchirures,  la variété des colorations, des recouvrements, est constamment contrée par la délicatesse et la fragilité des assemblages. Et cette impossibilité  à opter s’amplifie à mesure que l’on avance dans la lecture des procédures  avant de  reprendre le recul nécessaire.
Cette façon de retenir le spectateur est un autre atout, même si rarement  exploité par les artistes du fait de sa difficulté de mise en œuvre.

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      AI WEI WEI . San Giorgio Maggiore

Ai Wei Wei .Chinois.  Célèbre pour son  travail très iconoclaste, à la fois malicieux, destructeur et profond, longtemps   consacré à la culture classique chinoise , il « joue »  cette année, à Venise, avec les tableaux les plus emblématiques de notre patrimoine pictural occidental. Ici le procédé fonctionne très bien  car la mise en scène « à distance » est parfaitement réglée – comme il le fait toujours – et crée l’étonnement  sur le pourquoi et le comment de telles œuvres ici… avant que le rapprochement et l’entrée dans le jeu ( car c’est bien d’un jeu qu’il s’agit)  n’amènent les sourires attendus. Des Légos…  Voilà quel était le matériau !!!

De même avec son détournement du tableau de Mondrian et  son « encadrement » genre tissu d’ameublement…
Ces deux propositions sont des moments de détente   dans un ensemble plus ambitieux et moins futile présenté dans la nef de l’église de San Giorgio Maggiore.
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CHUN KWANG YOUNG

Chun  Kwang Young . Coréen. Dans ses « Agrégations » , Chun Kwang Young, propose d’étonnantes et élégantes sculptures de plus de 3 mètres et d’importants bas-reliefs délicats.
Leur particularité est d’être tous construits par agglomération d’un même module très petit.
Chacun, provenant de plaques de polystyrène découpées en forme de triangle (de 8/3/2cm environ) , est emballé dans un morceau de page de vieux livre, le tout maintenu par un petit cordon de coton. Plastiquement,  l’œuvre est étonnante et charme.
Le message, lui,  est ambitieux . Fonctionne-t-il ? … ( Chaque triangle enfermerait un composant sémantique indépendant, une unité d’information. « L’imbrication de ces structures dégageant  une systémique forte dont les frontières physiques traduisent une confrontation insolvable entre espoirs et réalité, consommation de masse et pauvreté, rêve américain et valeurs traditionnelles asiatiques… » )

 Finalement c’est bien plus  l’étonnement face à la main d’ œuvre nécessaire à la production des modules que le message transporté par le module qui interpelle le spectateur ._______________________________________________________________________________________

  ILIT AZOULAY. Pavillon d’Israël.Giardini

Ilit Azoulay  née  en Israël,  vit à Berlin. Expose « Queendom »,- mon royaume féminin-. aux Giardini- pavillon d’Israël .Sa démarche : Le musée d’art islamique de Jérusalem présente des milliers de pièces de vaisselle en métal incrusté et repoussé , photographiées par l’historien d’art Storm Rice*.
Ilit Azoulay  s’est réapproprié le travail de recherche de l’historien. Elle  a scanné, agrandi, découpé, superposé  et transformé les photos  en réalisant par photomontage de nouveaux objets de provenances différentes et en créant ainsi des liens nouveaux entre eux et une nouvelle vie.
Chaque création attire le spectateur,  par ses couleurs vives, ses propositions intrigantes et surrréalistes, et charme dans le même temps par l’éclairage interne, la richesse, et l’apparente préciosité des objets.
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 MARLÈNE DUMAS. Palazzo Grassi.

Marlène Dumas néerlandaise, née au Cap.  De prime abord son œuvre  peut paraitre « pauvre » et déconcertante, mais elle se charge peu à peu, si l’on veut bien l’apprivoiser.
Les sujets étant exclusivement des corps humains souvent nus ou des parties de corps, peints à l’huile sur toile ou à l’encre sur papier, c’est  bien des seuls procédés d’utilisation de ces deux médiums que va naître la force de son travail. Il est troublant, captivant , gênant .. Pour cela, des flous, des coulures, des taches , des couleurs souvent froides et de mort sur fonds incertains, troublés, sans décors ni objets auxquels se raccrocher.
On est immédiatement plongé dans un monde excessivement dérangeant où tout ce qui est d’habitude caché ou intériorisé est mis à jour: les regards méchants, les grimaces douloureuses, perverses, les poses équivoques, toujours sexualisées, érotiques  ou morbides ;   sorte de travail chirurgical  sur patients à qui on aurait retiré la peau…. Mais dans le même temps , rien n’est assez affirmé pour amener le spectateur à  conclure malgré l’implication fortement provoquée.
Et c’est là qu’est la force de ce travail.
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 ANSELM KIEFER. Palais des Doges

                Anselm Kiefer;  Allemand vivant en France s’est fait connaitre pour sa représentation expressionniste de champs, de plaines s’étendant à perte de vue, vides de toute humanité mais chargées de traces  faisant naître immédiatement une évidence et une gêne: ici s’est déroulé « quelque chose de terrible », des affrontements , des batailles , de la violence , des guerres…
Pour peu que l’on connaisse son travail, en avançant vers le palais des Doges,  on sait que l’on va avoir affaire à du monumental.  De cet ordre ??? ? sans doute pas encore…
Par ailleurs dans le cas de Kiefer, il est préférable de n’avoir rien lu à l’avance et de se laisser entraîner par lui dans la lecture.

En entrant dans la salle,  toute notre personne est physiquement saisie par le hors norme, l’inhabituel… et cependant on n’est ni englouti , ni écrasé … plutôt enveloppé et en paix. Très vite on n’est plus dans une pièce fermée, aussi vaste soit-elle, mais en pleine nature;  et plus la lecture avance , plus l’espace s’élargit.
Cela est dû à ses fantastiques effets de perspectives  et aux matériaux qu’il utilise, pour la plupart végétaux ; de l’herbe, du bois, des branchages, de la terre, de la boue, de la suie.
– La personne au pied de l’une des œuvres (photo1) permet d’évaluer  le rapport physique. (l’échelle à laquelle  » il nous « installe »)
– il nous montre aussi comment il « élargit l’espace »  par ses brillantes perspectives fuyant jusqu’à l’horizon. En utilisant par ailleurs  des objets réels symboliques surajoutés – des roues, des charriots, des vélos et tricycles chargés de marchandises, des vêtements-, il nous informe sur son sujet. Ici la fuite d’un  groupe ethnique à un moment de l’histoire de la ville.

2
Dans l’image 2,  il rend encore plus  palpable les notions d’élan, de marche supposée, d’ éloignement progressif et de  parcours long et semé d’embûches par les changements de direction et le rétrécissement de la magnifique « montée » blanche, ses ombres/lumières, ses tâches noires incertaines  et l’utilisation d’éléments  naturels de plus en plus petits .

La photo 3 permet d’évaluer les dimensions et la nature des matériaux de prédilection de Kiefer. ________________________________________________________________________________________

50 – Biennale de Venise. 2019. Général

Cette cuvée 2019 n’est pas enthousiasmante :

Les lieux d’exposition étant les mêmes et accueillant cette année beaucoup plus de paysbeaucoup plus d’artistes par pays, et  beaucoup d’artistes choisissant les installations, bavardes, hyper explicatives, multi médias… (vitrines à collections + sculptures + fosse pour vidéos immersives + panneaux explicatifs multiples…),  Arsenal et Pavillon International des Giardini sont saturés. Les oeuvres ne disposent plus d’espace suffisant pour vivre  et sont contaminées les unes par les autres. Plus rien n’est réellement lisible. Par ailleurs, de plus en plus de vidéos… de plus en plus longues… donc obligeant à juger d’entrée si, oui ou non, elles méritent le temps que l’on va y passer … et donc « y perdre »… ou pas… Tous ces phénomènes concourent à l’épuisement rapide du visiteur … et à sa frustration. Les grands sujets d’actualité ( climatiques, migratoires, politiques)  sont à peu près les seuls et le plus souvent traités de façon purement journalistique, sans recul, sans écart.


La violence extrême est sûrement la couleur dominante de cette année.Violence des images, excès des situations, déchaînement des sons. Machineries infernales…

Georges Condo

 La teneur générale est d’ailleurs annoncée dès l’entrée : un très grand tableau expressionniste, matièriste et noir/blanc nous accueille à la porte de l’Arsenal , un autre de même facture à celle du Pavillon International : oeuvres de Georges Condo (USA). Ici « Les deux ivrognes ». Plus grave, à mes yeux, ce que trop de médias présentent comme le clou de la Biennale : l’installation du bateau de migrants, naufragé en 2015 au large de la Lybie, et qui avait fait plus de 1000 victimes…  Nous le devons au suisse Christophe Büchel, qui s’est contenté de le faire transporter dans l’espace ouvert de l’Arsenal. Cette démarche, outre qu’elle n’a rien d’artistique, (même si l’on m’objecte  » l’urinoir  » de Duchamp), est pour moi répugnante et inacceptable.. et il est surprenant qu’aucun des organisateurs ne s’y soit opposé. De plus, contrairement à la réflexion de Duchamp, cette démarche va à l’encontre de ce qu’elle vise car la valeur d’usage  (terrible usage dans ce cas précis) d’un objet préfabriqué tombe dès lors qu’il est exposé dans un lieu d’art.  Pour devenir objet d’art…


         A L’OPPOSÉ  !!!

Pour ceux qui aiment beauté et délectation silencieuse, un lieu fort peu indiqué sur les programmes : le pavillon du Kazakhstan (Palazzo Dona Delle Rose. Fondamente nuove Cannaregio) . Il accueille des graveurs et sculpteurs contemporains soucieux de maintenir une continuité dans les sujets de type « tradition ethnique ». Belles aquatintes, eaux fortes, linogravures, lithographies et une extraordinaire et bouleversante  tête de cheval en bronze qui vaut à elle seule   le déplacement !! 

blog Kazak 1b-500

50. La violence
49. Gabriel Rico. Pavillon International
48. Adrian Ghenie/ Luc Tuymans
47.  Reza Lavassani. Pavillon de l’Iran.
46. Serwan Baran. Pavillon de l’Irak.
45. Jannis Kounellis. Fondation Prada


 

49 – La violence. Venise 2019.

Dans cette page sont présentées les créations qui m’ont paru les plus convaincantes sur le thème de la violence.


Oeuvre bi-dimensionnnelles

Christian Marclay ( Suisse. Né en Californie)

Marclay


 

Jill Mulleady (Uruguay)

Mulleady


Sculptures Installations

 

Shilpa Gupta (Mumbaï -Inde )
La sculpture est un vantail de portail en fer qui s’ouvre régulièrement et fracasse peu à peu le mur dans un énorme bruit. Cette oeuvre a déjà été présentée en France il y a plus de 10 ans à la Biennale de Lyon


Sun Yuan et Peng Yu (Chine. Pékin)
L’oeuvre du haut : un trône vide, censé être celui  de Roosevelt mais aussi celui d’un empereur romain à cause des drapés. Le fil noir partant de ce qui serait l’emplacement de la main   alterne des moments de repos et des moments de fureur où il fouette à grands bruits et avec une extrême violence la cage de verre du pourtour laissant peu à peu des marques qui brouillent la visibilité.

La 2° installation présentée dans le pavillon International, également dans une cage de verre,  se compose d’un bras mécanique noir actionnant une raclette qui nettoie le sol partiellement recouvert d’un liquide s’apparentant à du sang.


Vidéos

Ryoji Ikeda   (Japon) présente « Data-Verse » à la Corderie: vidéo étourdissante d’images scientifiques qui partent de toutes les connexions de l’intérieur du cerveau pour celles du cerveau au corps humain, du corps à l’environnement de la maison, de la maison à la ville, de la ville au pays, du pays au continent, du continent à la terre , de la terre au cosmos. Et du cosmos au big bang. C’est bien fait, efficace , envoûtant au début mais à la longue, des diagrammes s’interposent, inutiles et même gênants pour une oeuvre qui, vu le lieu, est plastique et non scientifique

Et… au Pavillon International une autre oeuvre;  très dérangeante : un couloir peint en blanc et doté d’un éclairage totalement aveuglant dans lequel le spectateur est obligé de passer pour continuer sa visite.

video cosmos

Le Pavillon de la République d’Arménie au Palais Zenobbio. « Revolutionary SensoriuAu fond du jardin une petite construction carrée projette sur ses quatre murs des moments d’une manifestation des habitants  d’Erevan ..   Violente, tonitruante, mais l’intérêt est ailleurs :  l’astuce artistique fait que par un système complexe nous, visiteurs et spectateurs, nous  retrouvons acteurs sur les murs, pris dans les scènes et parmi les manifestants… et entraînés par le bruit et le mouvement, nous jouons à manifester avec eux.



 

48 – Gabriel Rico. Venise 2019.

Très près de la sortie du Pavillon International, enfin…  le miracle !!
Une oeuvre qui semble réellement sous-tendue par une réflexion artistique solide.Trois petites organisations murales, démonstrations minimalistes et poétiques renvoyant aux aînés : le carré de Judd, le néon de Flavin,  l’arbre de Penone, l’objet préfabriqué de Duchamp… , d’autres encore… En tout cas, divers infimes éléments de l’environnement humain, tous « chargés »,  sont  posés comme un langage hiéroglyphique à décrypter, algorithme du cheminement réflexif de l’humain : ramasser, trier, organiser, classer… Petits morceaux de vie. Petits moments de pensée.

Gabriel Rico est Mexicain. Il vit et travaille à Guadalajara.


 

47 – A.Ghenie/ L.Tuymans . Biennale 2019.

Adrian Ghenie, au Palais Cini/ Luc Tuymans au Palais Grassi.


La peinture étant devenue chose rare, il faut signaler ces deux expositions de deux grands peintres européens, le premier roumain, le second belge.

Adrian Ghenie occupait à lui seul le Pavillon de la Roumanie aux Giardini lors de la Biennale de 2015. Peu connu alors du public, il avait beaucoup marqué par son expressionnisme, et la luxuriante palette de ses portraits d’Histoire Contemporaine. Il revient au Palais Cini, avec quelques toiles seulement,  mais mérite grandement le détour, ne serait-ce que pour trois portraits, intitulés ironiquement « Sans titre » mais où chacun reconnaîtra l’individu qui fait la Une de tous les médias mondiaux. Voir l’un des trois  ci-dessous :

Les 4 autres tableaux, tout aussi étonnants , sont des « scènes de genre-portraits-paysages », pourrait-on dire, chaque genre se dissolvant dans l’autre par des effets « après-coup »: basculement des plans et glissements de la pâte, d’une surface à une autre. Les couleurs sont saturées et violentes, les textures riches, les contrastes violents…  ce qui entraîne une dramatisation extrême.

 

Ghénie 2

Luc Tuymans est à l’opposé d’Adrian Ghenie.
Peintre d’Histoire lui aussi, travaillant d’après photographies comme son collègue, il utilise des moyens très différents pour arriver à la dramatisation :  à l’excessif, il préfère le presque rien.


La tension nait d’une palette très restreinte, de couleurs « délavées », d’une peinture lisse et mate, enlevant vie et actualité aux êtres comme aux événements. Nous sommes projetés dans un monde silencieux et figé.
Les personnages sont peu précis,  leurs expressions indéfinissables, et les scènes sont bien souvent dans des seconds plans.
Cet éloignement du sujet rend le spectateur voyeur malgré lui. Ainsi  nous glissons dans un passé incertain et gênant parce que l’interprétation reste ambiguë. « Quelque chose se passe » ou « s’est passé »… mais quoi ?

tuy 2

Une oeuvre retient particulièrement l’attention car elle est  extrêmement gênante du fait qu’elle accumule la plupart des critères chers à Tuymans: Indéchiffrable, provocante et dans le même temps élément possible d’un organisme vivant malsain voire maladif , bizarrement répétitif et différent.

Il s’agit de trois yeux de pigeons.