« Frente al rio las cosas del mar… » Maison du Port La Redorte Aude.
L’installation occupe le 1° étage de la Maison du Port.
Quai de La Redorte. Aude
Au sol, une vaste estrade carrée de 30 cm de hauteur présentant des pièces de monnaie identiques rassemblées sur un fond sombre, suggérant une carte géographique avec langues de terres avançant dans la mer.
Aux murs
-> 4 petits carrés de toile bleue, chacun pendu par deux pinces à dessin. Dans le bas du premier, un petit motif, brodé grossièrement avec un fil de coton jaune, qui évolue et se multiplie de carré en carré
-> une petite vidéo murale en fond de pièce
-> une feuille encadrée avec intervention de traces blanches sur fond gris
… 4 éléments très disparates, à première vue sans liens, échappant volontairement à tout effet esthétisant … donc un ensemble plutôt déconcertant.
Là réside la force première de ce travail qui incite à une analyse plus poussée. Les éléments proposés, mais surtout les procédés choisis, font que peu à peu les formes vont se charger de sens, se répondre, s’enrichir mutuellement , chemin semé d’indices, à suivre, à sentir, et surtout à éprouver.
-> Le petit élément brodé est maladroit, basique, bateau de dessin d’enfant : troué, traversé, empreinte violente. Puis, de carré en carré, le « bateau » se transforme et se multiplie, pour finir à 12 modules organisés en cercle et évoquant le drapeau européen.
-> Les pièces qui brillent nous renvoient bien sûr à la notion « d’argent » mais présentent alternativement l’une ou l’autre face. De près nous retrouvons le drapeau de l’Europe mais accompagné du mot « sin tierra » et sur l’autre face, une voile de bateau tout à fait lisible , bouleversée par des flèches menant dans des directions contraires et deux mots cette fois « mar » et « profundo »… L’argent prend alors un sens plus précis…
La vidéo, de taille modeste met à hauteur d’ yeux et comme en plongée totale, une séquence tout à fait hypnotique d’un « morceau » de mer très agitée et de remous qui se brisent inlassablement sur une forme évolutive, allant du rocher affleurant à une masse blanche et allongée, happée par les fonds.
On tombe alors sur le dernier élément où le seul mot « mar » est écrit et répété dans une graphie hachée, une organisation serrée, une sorte de foule entraînée vers le bas et une absence de couleurs , donc de vie…
Bateau dangereux, voile mal tendue, Europe incertaine, multitude trop grande pour être comptée, individus « sin tierra » n’existant que par le prix de leur traversée, vents furieux, mer agitée, récifs, attraction vers le « profundo » … On quitte la salle assez « remués ».
( Certes on pourra lire la feuille de visite offerte à l’entrée, apprendre qu’il y a 4820 pièces de monnaie -les 4820 migrants qui ont péri en Méditerranée en 2016 -, découvrir qu’Enrique Ramirez est chilien , fils de pêcheur , voguant enfant avec son père à une époque où l’on retirait du fond du Pacifique nombre d’opposants au régime de Pinochet … mais cette oeuvre plastique à l’efficacité évidente, peut tout à fait se passer de ce plus informatif .
Comme une fois encore était abordé le problème des migrants, j’ai souhaité présenter ici ce travail de la modeste maison du Port à La Redorte en contre-exemple de celui que j’avais évoqué dans le blog 51, accueilli, lui, dans le prestigieux écrin de l’Arsenal de Venise.
Le Frac Occitanie et le Musée des Abattoirs , dans le cadre des 80 ans de la Retirada, proposent une réflexion sur le statut de l’artiste en exil : « Je suis né étranger », et un parcours le long du Canal du Midi : « Horizons d’eaux »
La Redorte Juin 2019