Vivian Maier, nurse anonyme de son vivant, phénomène médiatique morte.
Entre les deux une découverte : 100 000 négatifs, 700 rouleaux de pellicule couleur, 2 000 rouleaux de pellicule noir et blanc, quantité de films en 8 mm et 16 mm, le tout non développé.
Un film : « A la recherche de Vivian Maier » passe en ce moment sur les écrans, essentiellement dans les salles d’art et d’essais. Un thriller passionnant, émouvant, et perturbant, car le dénouement n’advient pas. Vivian Maier reste une énigme.
Enigme pour ceux qui l’ont côtoyée… sûrement. Ils le disent en tout cas. Plus les témoignages et souvenirs s’enchaînent sur cette femme solitaire et discrète, plus VM s’échappe et se dérobe.
Enigme pour elle – même encore plus sûrement. En témoigne la quantité impressionnante d’auto-portraits et cette obsession à scruter sa propre image, à interroger son visage en le démultipliant à l’infini dans des jeux de miroirs et de mises en abîme.
Un vague malaise envahit le spectateur, une sorte de mauvaise conscience, éprouvée bien souvent face à la misère affective, à l’extrême solitude et à la dignité qui va avec.
Les images aujourd’hui révélées font de VM une des plus grandes photographes de « Scènes de la rue » et le désir de chercher qui était la femme s’en trouve exacerbé. Nurse, célibataire, sans famille, sans amis, sans domicile personnel…
Parmi les autoportraits, certains se réduisent à des ombres portées. Et c’est ici me semble t-il que s’éclaire un peu de sa personne, par rapprochements de bribes. Ici en effet plus de présence effective. Au contraire une disparition dans un hors-champ magique et protecteur. Juste une ombre calculée, maîtrisée, tantôt envahissant l’espace, tantôt venant d’un angle inattendu, la tête toujours arrêtée à un endroit stratégique. Un grand manteau, un chapeau… le justicier ? l’ange du bien ? du mal ? Sorte de toute puissance primitive. Apparition christique.
– seule dans l’espace du paysage, elle l’envahit, utilise les fuyantes du décor pour se positionner et obliger le regard à glisser toujours vers une zone lumineuse au loin.
Dans un paysage urbain, elle domine la ville , veilleur immobile, ou se superpose à l’ange dans l’affiche d’un film à la mode « Le Ciel peut attendre » ( photo d’origine en couleurs) . Les allusions au cinéma des années 50 sont fréquentes. VM est cultivée et a de l’humour.
– Quand elle se confronte à un humain, il est désarmé, nu, ridicule : femme bronzant en maillot et bigoudis, maçon penché, fessier boueux exposé, autre femme relaçant sa chaussure, postérieur là aussi en l’air, bas en tire bouchon .
C’est dans la relation aux éléments naturels ou aux objets que VM se livre davantage parce qu’il y a appropriation ou mieux incorporation de l’élément élu. Elle installe un petit rameau avec feuilles comme épinglé sur sa poitrine, des feuilles mortes contre son coeur ou une limule rencontrée sur la grève , bête étrange fréquente dans son pays, qui vient du fond des âges, contient un sang bleu aux propriétés thérapeutiques exceptionnelles, capables de « sauver l’humanité ».
VM ayant réalisé fort peu de photos animales il est probable qu’elle sait tout cela.
L’ intention est plus troublante et évidemment plus calculée, quand elle descend de sa poitirine à son ventre pour y loger un contenant cylindrique vide, muni dans sa partie haute d’ un chapeau convexe réfléchissant . Ainsi, attiré par cet ensemble clair cerné de blanc, l’oeil bute sur le petit personnage, reflet d’elle-même… Comment ne pas y voir une idée de gestation, peut-être d’enfantement… mais de qui ou de quoi ? …